Déclaration

Déclaration de Edward Greenspon

Président et CEO, Le Forum des politiques publiques

Le 26 janvier 2017

Le Forum des politiques publiques
130 rue Albert, Suite 1400
Ottawa, ON, Canada, K1P 5G4

Bonjour. Je suis Edward Greenspon, président du Forum des politiques publiques.

Aujourd’hui, nous publions Le miroir éclaté : Nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique.

Ce rapport révèle une industrie de l’information plongée dans une profonde crise et montre notre démocratie parvenue à un carrefour en ce qui concerne la fonction civique vitale des nouvelles. Nous constatons :

  • l’aggravation de la dégradation économique des médias traditionnels, qui produisent toujours la majorité des nouvelles;
  • le développement lent et incertain de fournisseurs de nouvelles exclusivement numériques, qui pourraient être appelés à combler le vide;
  • la fragmentation des auditoires et de l’attention au point de nuire à la base de connaissances communes et la compréhension dont dépend une nation pour son bien commun;
  • la partie disproportionnée des revenus provenant des nouvelles numériques que reçoivent les distributeurs plutôt que les producteurs, en particulier deux géants mondiaux qui n’emploient aucun journaliste et esquivent les responsabilités d’éditeurs;
  • la contamination des flux de nouvelles qui informent les citoyens par de fausses nouvelles empreintes de mensonges et de haine, que peuvent même manipuler des puissances étrangères.

Je suis accompagné aujourd’hui par un groupe de personnes qui ont relaté des faits et émis des points de vue tout au long du processus d’enquête.

  • Allan Gregg, directeur principal d’Earnscliffe Group
  • Chris Dornan, professeur agrégé de journalisme et de communications à l’Université Carleton
  • Colette Brin, professeure titulaire à l’Université Laval
  • Taylor Owen, professeur adjoint de médias numériques et d’affaires internationales à l’Université de la Colombie-Britannique
  • Elizabeth Dubois, professeure adjointe de communications à l’Université d’Ottawa

Je tiens à les remercier ainsi que les quelque 300 autres personnes qui ont contribué à notre processus.

C’est un fait indéniable : l’état du journalisme et, par conséquent, de la démocratie s’empire. La baisse à deux chiffres des revenus publicitaires s’est propagée des quotidiens aux journaux communautaires et aux téléactualités locales et traditionnelles. Les revenus d’annonces numériques pour les journaux sont coincés aux mêmes niveaux qu’il y a 10 ans et moins de 10 pour cent des Canadiens affirment être prêts à payer pour accéder aux informations numériques.

Dans un échantillonnage prélevé récemment pendant trois mois, 82,4 % de la publicité numérique au Canada provenait uniquement de deux entreprises, Facebook et Google.

Le Forum des politiques publiques estime qu’environ un tiers des postes de journalistes ont été perdus au cours des six dernières années. Les fermetures de journaux durant cette période ont touché les circonscriptions de plus de 200 députés.

Nous nous aventurons en terrain inconnu : couverture inadéquate des institutions publiques et des représentants élus, absence de journalistes dans les tribunaux pour s’assurer que justice est rendue et perte du ciment social que représentent les nouvelles locales dans les collectivités.

Bien sûr, la révolution technologique qui secoue les médias d’information compte un aspect positif. Le réseau Internet permet à plus de gens que jamais auparavant de faire part de leurs connaissances et de leurs idées, ainsi que d’entendre les voix de personnes marginalisées. Nous assistons à la diffusion d’expertise, portant sur toute une gamme d’intérêts, dans des blogues, des messages affichés dans les médias sociaux, des balados et des sites spécialisés. Ici, à Ottawa, nous avons accès à un site voué aux questions politiques. Nous voyons l’apparition sur Internet de mouvements comme Les vies des Noirs comptent.

Jamais les Canadiens n’ont eu accès à plus d’informations. Mais, la capacité de produire des nouvelles originales, notamment de nature civique, est sérieusement limitée par l’énigme non résolue du financement du coût du journalisme à l’ère numérique.

Moins de journalistes et plus de plates-formes signifient qu’on consacre moins de temps à la recherche et plus de temps au traitement des nouvelles. Bien que la rédaction de fausses nouvelles ne prenne que quelques instants, les vraies nouvelles exigent souvent des jours, des semaines et même des mois d’investigation et de vérification. Notre recherche exclusive sur l’opinion publique montre que les Canadiens ressentent un profond respect pour le rôle que joue le journalisme dans la démocratie. En fait, ils estiment que ce rôle est tellement important qu’ils craignent que la résolution du problème puisse rendre les journalistes dépendants à l’égard du gouvernement.

Nous avons tenu compte de ce point dans l’élaboration de nos recommandations visant à appuyer la fonction civique du journalisme, tout en tenant le gouvernement éloigné de leviers politiques discrétionnaires.

Que le Canada se tourne vers la politique publique pour assurer l’existence de journalisme par les Canadiens et pour les Canadiens n’a rien de nouveau ou d’étonnant. Une subvention postale visant à assurer une vaste diffusion des nouvelles précède la Confédération. Dans les années 1930, la politique publique a créé CBC/Radio Canada. Dans les années 1950, on a appliqué la radiodiffusion publique à la télévision. Dans les années 1960, le Parlement a adopté l’article 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour accorder la préférence à la publicité dans les médias canadiens, dans les années 1970, cet article s’est appliqué à la diffusion et dans les années 1990, il a été modifié pour tenir compte des magazines.

Nous formulons aujourd’hui 12 recommandations face à un miroir tellement en éclats qu’il réduit la capacité des médias d’information de projeter vers les Canadiens une image réelle d’eux-mêmes. Les recommandations visent à assurer que notre démocratie est bien servie par des médias d’information vigoureux, diversifiés, indépendants et dignes de confiance, fermement implantés dans l’ère numérique.

Nous recommandons des réformes qui mettraient la publicité sur Internet sur un pied d’égalité avec les médias imprimés ou la radiotélévision. Du même coup, les changements proposés généreraient des revenus continus pour ce que nous appelons le Fonds pour l’avenir du journalisme et de la démocratie. À l’instar du Fonds de câblodistribution, l’idée est que les entreprises qui profitent de la vente d’annonces au Canada devraient contribuer à la création de contenu de nouvelles canadiennes.

La combinaison d’une source spécialisée de financement et d’un fonds plus indépendant que les conseils subventionnaires universitaires réduira au minimum l’influence des gouvernements des deux côtés de l’équation.

Nous demandons aussi aux gouvernements de commencer à percevoir la taxe de vente auprès des sociétés étrangères qui vendent des abonnements et des annonces numériques, comme ils le font pour les médias canadiens. Cette anomalie de l’ère numérique a déjà été abordée par de nombreux pays dans le monde entier.

La philanthropie constitue l’une des nombreuses réponses à la question de savoir qui financera le journalisme. Mais, les règlements au Canada sont soit inutiles ou obscurs en ce qui concerne le soutien caritatif. Nous préconisons des réformes afin que les philanthropes puissent appuyer le journalisme, comme on le fait couramment dans de nombreux pays.

Nous recommandons aussi plusieurs nouvelles initiatives afin de fournir des nouvelles fiables et dignes de confiance dans les situations où le manque d’actualité citoyenne est à son plus aigu. En ce qui concerne les nouvelles locales, nous recommandons la création d’un second service sans but lucratif pour La Presse canadienne, qui mettrait de 60 à 80 journalistes sur le terrain, à des endroits qui ne sont pas couverts en ce moment. Un service semblable sous les auspices du Réseau de télévision des peuples autochtones permettrait de couvrir les gouvernements autochtones grâce à des reportages de journalistes autochtones. Ces deux organismes, comptant des normes élevées, représentent une partie de la réponse au problème des fausses nouvelles. Une autre initiative consisterait à établir un service de conseil juridique pour aider les petites entreprises de presse à faire du journalisme d’investigation.

Aucune solution aux défis posés par le miroir éclaté n’est possible sans un rôle encore plus important de CBC/Radio-Canada. Les Canadiens continuent à compter sur ce radiodiffuseur pour des nouvelles fiables et dignes de confiance, qui nous informent dans notre vie civique. Nous formulons trois recommandations : la première consiste à renforcer l’impératif d’« informer » dans le mandat de CBC/Radio-Canada, compte tenu de l’état affaibli de l’information. La deuxième vise à affranchir CBC/Radio-Canada du besoin de publicité numérique, afin de supprimer toute distraction dans la poursuite de nouvelles sérieuses. La troisième est de vraiment rebâtir CBC/Radio-Canada, en vue de l’ère numérique, par la publication de son contenu d’information sous licence Creative Commons, tout d’abord pour les organismes de presse sans but lucratif. Une telle démarche de source libre contribuerait considérablement à faire passer CBC/Radio-Canada du modèle de radiodiffusion publique du passé à un fournisseur public universel d’un journalisme de qualité – un important antidote aux fausses nouvelles.

Mesdames et Messieurs, les médias d’information au Canada se trouvent en pleine crise existentielle et, ainsi donc, notre démocratie. Notre plus grand espoir est que Le miroir éclaté stimulera un débat indispensable et, finalement, la prise des mesures exigées.

Merci.

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